Il y a quelques années, j’étais en retard un matin et j’ai quitté précipitamment la maison pour me rendre au travail. Ma fille adolescente m’a appelé quelques heures plus tard et m’a dit sur haut-parleur, avec tous ses amis dans la voiture, « maman, tu as laissé le fer à lisser allumé, cela aurait pu causer un incendie. Je ne suis pas en colère, je suis juste déçue. » Elle a ensuite éclaté de rire.

Mis à part mon oubli dangereux, cette interaction fut amusante, car ma fille utilisait un langage qu’elle avait clairement entendu plusieurs fois dans sa vie (venant de moi, autant l’admettre tout de suite), et elle appréciait l’inversion des rôles.

Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais rien ne me déplaît plus que de savoir que j’ai déçu quelqu’un. Je pense que beaucoup d’entre nous, les aidants, avons cette prédisposition naturelle à faire plaisir aux autres et à les satisfaire. Cela fait de nous des amis, des parents et des professionnels hors pair. Il y a aussi des aspects positifs profondément gratifiants dans le fait de se sentir nécessaire, utile et attentionné. Je n’échangerais cela pour rien au monde.

Cependant, il peut aussi y avoir un coût à être des aidants surhumains, car il s’avère que les besoins seront TOUJOURS plus importants que ce que nous pouvons fournir. Cela est vrai sur le plan professionnel, mais aussi sur le plan personnel.

Je suis récemment allée dans une épicerie pour acheter plusieurs des produits alimentaires préférés de ma famille, et ce n’est que lorsque je suis arrivée à la voiture et que je suis partie que j’ai réalisé que je n’avais pas pensé une seconde à acheter quelque chose qui me fasse plaisir à moi aussi. J’ai garé la voiture sur une route secondaire, et j’ai pris quelques minutes pour respirer. Qu’est-ce que j’essayais de prouver? À qui? Que je suis invincible et que je n’ai aucun besoin? Que je peux toujours prendre soin des autres, quoi qu’il arrive?

Nous apprenons ces tendances très tôt, et elles s’inscrivent dans notre identité.

Je viens d’une longue lignée d’aidants, et peut-être que c’est aussi votre cas. Ma mère m’a raconté qu’à l’âge de cinq ans (oui, cinq ans, elle n’était même pas encore au primaire), elle s’occupait de sa mère dépressive, préparait les repas pour la famille et assumait les tâches ménagères. Mon frère et moi avons assumé des responsabilités d’adultes à l’âge de neuf et douze ans lorsque nos parents ont divorcé et que la situation était difficile à la maison. Nous sommes toujours reconnus tous les deux pour notre caractère fort et fiable. Nous en sommes fiers. Cela nous a apporté du succès dans nos vies professionnelles et une immense satisfaction. Ma mère aussi, d’ailleurs. Elle était une véritable perle dans son domaine et était reconnue pour son éthique de travail, son impartialité et sa fiabilité remarquables.

Puis un jour, on commence à se rendre compte que l’on est épuisé. Il se peut aussi qu’on baisse les bras, qu’on oublie quelque chose ou qu’on laisse tomber quelqu’un par inadvertance. Parfois on tombe malade, ou on commence à se sentir mal. Sinon, nous nous sentons dépassés par la demande et nous ne pouvons pas tout faire, car celle-ci dépasse complètement notre capacité.

Dans plusieurs de ses livres, la merveilleuse auteure Cheryl Richardson parle de « soin de soi extrême ». Elle nous invite à réévaluer les véritables priorités de la vie, en dehors des éléments de base que constituent la sécurité, le logement, la nourriture et l’amour. Je retourne sans cesse aux livres de Richardson et y trouve toujours une citation pour appuyer ce que je considère être ce dont j’ai vraiment besoin.

Voici un extrait de son livre The Art of Extreme Self-Care :

« Si vous voulez vivre une vie authentique et pleine de sens, vous devez maîtriser l’art de décevoir et de contrarier les autres, de blesser les sentiments et de vivre avec la réalité que certaines personnes ne vous aimeront tout simplement pas. Ce n’est peut-être pas facile, mais c’est essentiel si vous voulez que votre vie reflète vos désirs, vos valeurs et vos besoins les plus chers. » (traduction libre)

Ainsi, en m’inspirant du travail de Cheryl, je voudrais vous inviter à vous pencher sur ce qui occupe votre temps en ce moment, voire dans les deux mois à venir. Y a-t-il une chose que vous avez déjà accepté de faire (dans votre vie personnelle ou professionnelle) à laquelle vous auriez pu dire non? Quelles seraient les conséquences d’un refus? Quelqu’un serait-il déçu? Est-ce que c’est cela qui vous fait peur? Puis? Et si, en fait, il était nécessaire de décevoir parfois? Avons-nous peur de perdre l’amour, le respect ou les amitiés? Existons-nous si nous ne sommes pas les « incontournables » à tout moment?

Ces questions suscitent de profondes réflexions. Je l’admets. Ce sont des choses avec lesquelles je dois composer presque quotidiennement.

J’ai dû décevoir des personnes qui me sont chères récemment. Au début, j’ai résisté. Je me sentais très coupable; j’allais les contrarier, sans aucun doute. Mais il fallait que je fasse des concessions. J’étais complètement débordée au travail et à la maison et j’étais complètement dépassée. J’ai donc fait ce que je fais toujours quand j’ai l’impression que ma tête va exploser : d’abord, je suis allée faire une longue promenade. Aussi, dès que j’ai eu un moment libre, je suis allée faire une séance de yoga. J’ai ensuite eu une nuit complète de sommeil. Finalement, je suis allée parler à un conseiller de confiance.

Un conseiller de confiance peut être un ami cher, un coach, un thérapeute ou un conseiller spirituel. Dans mon cas, j’ai la chance d’avoir dans ma vie plusieurs femmes brillantes qui me connaissent bien et qui n’ont pas peur de me remettre en question. Elles connaissent mes habitudes et peuvent aussi me dire quand je fais des erreurs. Je suis allée voir l’une d’entre elles et je lui ai sans doute parlé pendant 45 minutes sans qu’elle m’interrompe; je lui ai déballé tous mes problèmes et les nombreuses choses que je devais faire. Finalement, mon amie m’a dit : « Tu ne peux pas tout faire cela. Tu vas devoir décevoir certaines personnes, mais sache aussi que tu as pris l’habitude, au fil des ans, de toujours dire oui et que, par conséquent, leur réaction ne sera probablement pas très favorable. Prépare-toi à cette éventualité. Toutefois, tu devras aussi être honnête, leur dire ce qui se passe et pourquoi tu dis non. »

C’est ce que j’ai fait. Je me suis lancé et j’ai déçu tout un tas de gens.

Même si cela me dérangeait, j’ai aussi ressenti un énorme soulagement. J’ai réussi à trouver un peu de temps pour respirer, et j’ai compris que je devais réévaluer la capacité que je prétends avoir d’accepter plus que ce que je peux accomplir, d’être la personne qui règle les problèmes, la personne sur laquelle on peut compter à tout moment.

Je crois sincèrement que pour maintenir notre intégrité et notre compassion dans ce travail très difficile qui est le nôtre, nous devons admettre nos limites et, par-dessus tout, être capables de faire preuve de compassion envers nous-mêmes avant de pouvoir réellement prendre soin des autres.


Sources d’information :

Richardson, C. (1999). Take time for your life: A 7 step program for creating the life you want. Harmony.