J’ai récemment vécu une semaine difficile pendant laquelle j’ai dû gérer mes symptômes de stress traumatique secondaire.

Bien que ces symptômes me soient familiers, je ne les avais pas ressentis depuis fort longtemps, c’est-à-dire depuis que j’ai quitté mon travail de clinicienne à temps plein. J’ai été plutôt surprise de leur apparition même si en y réfléchissant bien je crois savoir ce qui les a provoqués.

En plus d’avoir travaillé pendant de longues heures au bureau, j’ai manqué de sommeil. L’été est plutôt court au Canada. Le soleil brillait et les nuits étaient douces. J’en ai profité pour écouter des concerts en plein air, avoir des conversations tardives avec des amis et partager de délicieux BBQ avec mes merveilleux enfants et leurs amis.

J’ai lu un roman très intéressant, mais perturbant avant d’aller au lit (Je sais que je n’aurais pas dû…) en plus d’écouter pendant 6 heures une balado diffusion sur un escroc qui a ruiné la vie de nombreuses personnes. En résumé, j’ai fait tout ce que je conseille aux autres de ne pas faire : manque de sommeil, exposition à des traumatismes externes, manque de retenue. Je suis redevenue vulnérable et j’ai été envahie par la fatigue.

Pendant la même semaine, j’ai entendu de nombreux récits de graves traumatismes. Si vous travaillez dans le même domaine que moi, vous savez de quoi je parle : la réminiscence d’un cas que vous pensiez avoir oublié depuis longtemps après l’avoir refoulé au fond de votre esprit, d’une image qui vous fait dresser les cheveux sur la tête ou de récits qui vous coupent le souffle pendant une seconde lorsque vous comprenez la douleur et la souffrance de la personne qui est en face de vous dans un élan de profonde empathie.

Ce qui a compliqué davantage ma situation, c’est que l’un de ces récits ne pas été fait dans le cadre de mon travail. Pendant que je rattrapais le temps perdu avec une amie en conversant avec elle dans son jardin, celle-ci m’a raconté, sans m’avoir prévenue, un drame ayant affecté un de ses proches au cours de cette même journée. Comme toutes les personnes qui ont subi un traumatisme, elle m’a raconté tous les détails de l’accident en question (avec appuis visuels et auditifs).

Je ne lui en tiens pas rigueur puisqu’elle avait besoin de mon soutien. Toutefois, comme nous étions en train de converser de tout et de rien et qu’elle ne m’avait pas prévenue avant de me raconter ce drame, j’ai été prise au dépourvu et j’ai été perturbée pendant plusieurs heures.


Se ressaisir

Lorsque je ressens beaucoup de stress traumatique secondaire (STS), j’ai tendance à me désengager de ma famille et à diriger toutes les conversations vers des sujets compliqués reliés à mon travail. Je suis présente de corps mais absente d’esprit : je fais la cuisine, le ménage et les courses et je prends mes enfants dans mes bras. Il me reste toutefois très peu d’énergie mentale pour entreprendre des conversations non reliées à des traumatismes surtout lorsqu’il s’agit de sujets superficiels (les dernières discussions de la Chambre des communes?  Bla bla bla…) ou de l’un des trois sujets de discussion préférés dans ma famille (politique américaine, injustices sociales et basketball: épargnez-moi svp!). J’aime habituellement débattre intelligemment de ces sujets. Toutefois, quand je suis envahie par le stress traumatique secondaire, j’ai juste envie de parler de beaux petits chiens ou de traumatismes.

C’est un sérieux avertissement dont je dois tenir compte.

À la fin de cette semaine difficile, mon conjoint et moi-même avons entrepris un voyage pour rendre visite à des amis au nord de l’état de New York. Pendant la première heure, je me suis contentée d’admirer les collines verdoyantes et d’écouter la musique dans l’auto.

J’ai finalement avoué à mon conjoint : « J’ai eu une semaine difficile. J’ai entendu plusieurs récits bouleversants. Je n’ai pas envie de t’embêter en te les racontant à mon tour. Cette situation m’a toutefois fait réfléchir à ce que tu vivais lorsque je travaillais à temps plein en qu’intervenante de première ligne en matière de traumatismes. »

Mon conjoint a alors regardé au loin, puis il a pris une profonde respiration avant de me répondre : « En effet, cette période a été particulièrement difficile. »

Bien que mon conjoint ne soit pas très bavard, j’ai compris ce qu’il voulait dire puisque nous sommes ensemble depuis 30 ans. Il a été témoin de l’ensemble de mon parcours en tant que clinicienne en gestion de traumatismes. Nous avions déjà discuté de mes transitions parfois difficiles entre le travail et la vie de famille, de mon irritabilité, de mon manque de participation aux choses qui l’intéressent ou le passionnent et aussi du fait que je me mettais parfois au lit à 20h00, complètement épuisée.

Que ressentent les personnes qui sont en relation avec nous? Que ressentent nos amis lorsque nous ne retournons pas leurs appels pendant plusieurs semaines ou que nous profitons des fêtes d’anniversaire pour raconter certains évènements reliés à notre emploi que nous sommes les seuls à trouver drôles?


Que ressentent nos amis lorsque nous ne retournons pas leurs appels pendant plusieurs semaines ou que nous profitons des fêtes d’anniversaire pour raconter certains évènements reliés à notre emploi que nous sommes les seuls à trouver drôles?


Renforcer nos fondations

Il est vrai que j’entends beaucoup de récits bouleversants dans le cadre de mon travail. Je suis certaine que vous en entendez aussi. Je peux généralement y faire face compte tenu que je dispose de tout un éventail d’outils pour relativiser ceux-ci et repartir à zéro. Toutefois, en raison de mes extravagances pendant l’été, j’étais moins bien préparée et moins en contrôle que je le suis généralement. Mes fondations n’étaient plus aussi solides.

Compte tenu que je gagne ma vie en enseignant la gestion des traumatismes secondaires et en écrivant sur le sujet, je me surveille soigneusement et je prends des notes dans ma tête :

« Je ressens beaucoup d’anxiété sans aucune raison. »

« J’ai moins d’appétit. »

« Je choisis plus ou moins judicieusement mes lectures avant d’aller au lit. »

« Je réfléchis à l’altercation que je viens d’avoir avec mon fils avant d’avoir déposé mon porte-document même si je m’étais jurée tout au long de mon retour à la maison de ne pas aborder immédiatement le sujet conflictuel. » (Je ne mérite vraiment pas la médaille du meilleur parent de l’année dans cette épisode…)

J’ai finalement constaté le vendredi midi de cette même semaine que je n’allais vraiment pas bien. Compte tenu que je reconnais facilement mes symptômes de stress traumatique secondaire, je me suis rapidement reprise en main. J’ai décidé me m’arrêter et de me déconnecter pendant un certain temps.

J’ai entrepris des activités non traumatisantes (insérez votre activité d’auto-soins ici) : recevoir une pédicure et acheter un nouvel outil à la quincaillerie. (Eh oui! Une personne peut s’intéresser à la fois à ces deux activités : pédicure et réparer mon évier.)

J’ai toutefois continué à ressentir une hyperexcitation pendant cette mini pause. J’étais incapable de contrôler mes pensées et de me détacher de ma liste de tâches à accomplir pendant l’après-midi.

J’ai donc pris une grande respiration, je suis rentrée à la maison, j’ai mis de côté mon roman triste, j’ai regardé un épisode de ma comédie préférée et je me suis couchée tôt pour profiter d’une bonne nuit de sommeil.

Un cheminement, pas une destination

Pour se recentrer en présence de stress traumatique secondaire, il faut demeurer conscient de soi, noter ses changements de comportement, ralentir et prendre en compte certains commentaires des êtres chers, par exemple « tu n’es pas toi-même aujourd’hui » (sans leur en vouloir à mort). Il faut aussi se reposer et refaire le plein d’énergie physique et mentale pour être en mesure de continuer à fonctionner dans tous les aspects de la vie. Il s’agit d’un processus continu.

Ce qui précède m’amène à vous poser les questions suivantes :

  • Si vous êtes exposé(e) à des traumatismes en tant que professionnel(le), avez-vous déjà demandé à des êtres chers ou à des amis ce qu’ils ressentent à votre égard quand vous êtes dans la zone jaune?
  • Comment évalueraient-ils votre transition travail-maison?
  • Comment décriraient-ils l’impact, à la fois sur vous et sur eux, des récits et des cas bouleversants auxquels vous êtes exposé(e)?
  • Avez-vous développé une auto-conscience de vos signes avant-coureurs de stress et de la nécessité de faire un bilan et de repartir à zéro?

Je termine d’écrire cet article pendant que je suis assise dans mon jardin par un beau dimanche matin. J’admire les effets de la faible brise sur mes marguerites. Les ratons-laveurs viennent tout juste de rentrer de leurs recherches nocturnes de nourriture. Ils me font signe de la tête avant de disparaître sous mon cabanon. (Nous avons une entente : j’évite de les déranger et ils ne me dérangent pas.)

Même si je me sens plus reposée et plus forte, je surveille soigneusement mes pensées, mes comportements et mes choix d’auto-soins. J’aime mon travail, mais je reconnais que celui-ci ne doit pas contrôler tous les aspects de ma vie si je veux continuer à offrir des soins éthiques de qualité en gestion des traumatismes.

Il y a tellement de choses sur lesquelles nous n’avons aucun contrôle dans le cadre de notre travail. C’est pourquoi il est important d’accorder la priorité nécessaire à notre santé physique et mentale.


J’aime mon travail, mais je reconnais que celui-ci ne doit pas contrôler tous les aspects de ma vie si je veux continuer à offrir des soins éthiques de qualité en gestion des traumatismes.